
Il ne faut qu’un œil au vendeur, il en faut cent à l’acheteur. Le célèbre proverbe néerlandais est en train de s’inverser dans les marchés financiers.
La mise en place du feuilleton réglementaire MIF (Markets in Financial Instruments Directive) à partir de 2004, conjuguée au développement exponentiel des transformations digitales des établissements financiers, menace sérieusement le métier de vendeur en salle des marchés, plus communément appelé « Sales ».
Raconté par The big short ou Le loup de Wall street, le « Sales » est au cœur de la relation client, ambassadeur de l’établissement, il a pour missions de conseiller ses clients et leur fournir les produits financiers sur le marché, avec à la clef une rémunération parmi les plus hautes de la banque. Ce métier Front Office qui, il y a quelques années encore, faisait rêver les lauréats des prestigieuses écoles de commerce, est en train de voir se réduire ses prérogatives et se noircir ses perspectives.
Ceci dit, il faut différencier deux populations de vendeurs.
D’une part, une population de vendeurs, très technique, s’occupe des produits dit structurés, beaucoup moins maitrisés par les investisseurs. Ceux-ci nécessitent un réel conseil d’investissement, leur pricing (définition du prix) est plus complexe et peut parfois prendre plusieurs jours, leur ROI est beaucoup plus important, mais la banque en vend de manière beaucoup plus mesurée.
D’autre part, les vendeurs dits « de flux » ou « Cash sales » ont pour mission principale de commercialiser les produits financiers de la banque les plus standards. Ils veillent à saisir les opportunités d’acquisition ou de vente qu’offre le marché pour les proposer à leur portefeuille de clients.
La technicité de ces produits est souvent maitrisée par les investisseurs, leur pricing prend quelques secondes et la banque en vend des quantités importantes tous les jours.
La mise en place des différentes réglementation, MIF notamment, a remis le client au centre du jeu. En effet, les réglementations ont obligé les établissements financiers à fournir beaucoup plus de transparence à leurs clients et au marché, à orienter les produits en fonction des profils clients et à harmoniser les marges facturées par transaction. Cela a directement impacté la restriction des prérogatives des vendeurs de flux, pour lesquels la marge de manœuvre était quasi-totale et dont les tâches deviennent dorénavant de plus en plus mécaniques. Sur certaines catégories de produits, la multitude de contraintes réglementaires rend tout simplement la tâche impossible pour un humain, au vu de la quantité de reportings qui découlent des transactions.
Et qui dit mécanique, dit automatisable. L’avènement du boom des transformations digitales ne pouvait pas tomber plus mal pour les sales. En effet, les établissements financiers, qui font le marché, n’ont plus pour seul point de contact des vendeurs représentateurs, mais différents moyens digitaux (plateformes électroniques, Interfaces API…) sur lesquels ils sont autonomes. Ces nouveaux outils ont aussi l’avantage d’assurer un respect à la lettre des réglementations et permettent de traiter des volumes surhumains de transactions, le tout à coût réduit.
Les clients des banques ne sont pas non plus épargnés. En effet, les buy-side (Gérants d’actifs, Fonds de pension ou Banques privées) disposent de tables d’exécutions, des unités composées de « sales-trader », chargées d’exécuter les opportunités d’achat ou de vente identifiées par les gérants de portefeuille, au meilleur prix sur le marché, en interrogeant différentes banques. Une première phase de digitalisation a facilité leur tâche en leur donnant accès aux plateformes qui remplacent progressivement les appels téléphoniques ou la messagerie, mais son accélération permet dorénavant aux algorithmes des buy-side d’interroger les API bancaires sans intervention humaine, et d’assurer l’efficience du prix.
ADAPTATION ou DISPARITION
Les établissements financiers ont tout de suite compris la transformation qui est en train de se produire et les économies qu’ils pouvaient faire sans pour autant dégrader la qualité de service, voire l’améliorer.
Les vendeurs de flux n’ont plus le choix : s’adapter ou disparaitre. La réalité du métier aujourd’hui oblige à une évolution vers des métiers de conseil et d’aide à l’investissement, l’aspect commercial étant de plus en plus mis aux oubliettes avec la concurrence des différentes plateformes électroniques.
On peut d’ores et déjà constater un ralentissement des embauches des jeunes diplômés et une réorientation pour des opérateurs qui exercent depuis plusieurs années.
On peut également relever que certains vendeurs de produits de flux ont fait le choix de surfer sur la vague de la digitalisation et de se convertir dans les métiers de l’informatique, afin de penser et d’accompagner la mise en place des plateformes électroniques. Dans un bateau qui navigue à contre-courant, qui n’avance pas recule !
Photo : Unsplash par Aditya Vyas